Sumi-kiri san nen…

On dit que sumi-kiri, la coupe élaborée du charbon par les apprentis, prend trois années (san nen) à assimiler. Je suis de toute évidence lent à l’apprentissage puisque dans ma cinquième année et toujours incapable de produire un charbon satisfaisant. Mais pourquoi toutes ces préoccupations autour du charbon?!

Si vous avez déjà essayé de pelleter du gravier, vous aurez remarqué que c’est beaucoup plus facile lorsque les pierres sont toutes de même dimensions que lorsqu’il s’agit d’un pot-pourri de sable et graviers de différentes grosseurs. Il en est de même avec le charbon dans la forge. Si les morceaux sont tous d’une même dimension, l’objet inséré ou retirer dans la forge circule sans encombre, mais lorsqu’ils ne le sont pas, l’objet est facilement bloqué, les charbons se répandent partout et on perd ainsi de la chaleur et un temps précieux (et je ne mentionne pas le manque d’élégance!).


D’abord refendre…

La grosseur des morceaux influe aussi sur l’étendue de la région de chauffe dans le fourneau en permettant plus ou moins aux gaz de circuler. De gros morceaux laissent passer l’air plus librement que de petites pièces, contrôlant ainsi l’environnement de chauffe avec beaucoup de précision. Pour chauffer de gros blocs d’acier brut lors de tanren, on utilise le format le plus gros (2-4cm de côté selon le forgeron), mais pour la trempe, comme on souhaite contrôler très précisément l’endroit de la lame qu’on chauffe, on utilise de plus petits morceaux (0.5-1.5cm). Des granules et la poudre sont aussi utilisées, les premières pour recouvrir le fond de la forge et la dernière comme ingrédient dans un foule de produits. Pas un brin de charbon n’est perdu.

De plus, l’écorce doit être raclée et gardée à l’écart du charbon de forge à cause des étincelles et explosions très sonores qu’elle cause, empêchant du coup de bien écouter le souffle du feu, l’acier qui “boue”, ou encore de simplement préserver l’attention nécessaire à juger la couleur des flammes et la nature des étincelles s’élevant à travers elles, tous des indicateurs vitaux de ce qui est en train de se passer dessous.

On dit qu’un bon coupeur de charbon peut tailler à une dimension précise après avoir vu un échantillon une seule fois et que chaque morceau est étonnamment cubique et anguleux. J’ai déjà vu un tel charbon et j’ai aussi vu du très mauvais. The charbon montré ici (le miens) est moyen.


…puis couper en travers du grain.”

Le pin est le bois préféré pour le charbon de forge. Pour les mêmes raisons qui font que les potiers le préfèrent pour leur four, il donne une forte chaleur rapidement et brûle proprement. Le charbon de bois dur n’est pas approprié car il brûle trop lentement, étant dense, et ne permet pas d’atteindre des températures assez hautes. La plupart du charbon de forge au Japon aujourd’hui vient de la préfecture d’Iwate, dans le nord, alors que d’autres endroits de production se spécialisent dans d’autres types de charbons, chacun avec ses applications (cérémonie du thé, purification de l’eau ou de l’air, savon, absorbant d’humidité, etc). Le charbon est tel une éponge de plusieurs façons: il absorbe l’humidité de l’air et les huiles des doigts. Une pleine semaine à couper du charbon résulte normalement en des doigts craquelés si ces derniers n’ont pas d’entraînement.


Le charbon absorbe les huiles de doigts peu habitués.

La plupart des forgerons modernes ont changé pour la coke (produit en brûlant du charbon de minerais), mais sa plus haute teneur en phosphore et souffre en fait un mauvais choix pour les traitements de l’acier à haute température, comme tanren ou la soudure. Du côté éco, le charbon est parfaitement inoffensif pour le corps humain même lors qu’inhalé en poudre fine, alors que le charbon de minerais et la coke tuent lentement.

Sumi-kiri san nen…  Je pense qu’ils essayaient d’être optimiste. Ça prend définitivement une vie à bien assimiler la préparation du charbon. En plus, je suis un lent.


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Comments

6 responses to “Sumi-kiri san nen…”

  1. Arnaud Martinval Avatar
    Arnaud Martinval

    Wouaaaah!!!! Je ne savais pas que le charbon pouvait assécher les doigts de cette façon!
    A propos de la poudre de charbon dans le 4eme sac à quoi sert-elle? Est-elle utilisée pour le mélange d’argile pour le yaki-ire?

  2. bargiel dominique Avatar

    Salut Pierre
    C’est un sacre labeur mais je pense que la qualité de la chauffe doit etre un plaisir avec un charbon bien qualibre . J’ai essaye avec le mien et je confirme l’avantage. La poussiere est un piege a toxine . je suis rarement enrhumé en forgeant avec ce charbon de bois . en france j’utilise du hetre et du chene il ressemble bien au pin en qualité. iIl mest arrivé d’utiliser du bois plus dur mais je ne suis pas heureux de son utilisation . Il est dur a chauffer et en plus il reduit la surface de chauffe. il fait beaucoups de cendre blanche.. pour yaki_ire c’est comme si je promenais la lame dans un tas de gravier.. ce ne sont que quelques experiences. je pense que le calibrage est un bon moment de relaxation.
    au plaisir

    1. Pierre Nadeau Avatar

      Voilà l’expérience qui parle! Tu as très bien compris en le faisant. Aller, on jette les livres aux poubelles! C’est en forgeant qu’on devient forgeron… ;-)

  3. […] charcoal for various forging and welding operations. The Soulsmith Pierre demonstrates Sumi-kiri, the art of charcoal cutting from the perspective of an […]